Liliane Heidelberger : publication du catalogue raisonné

Les éditions Lelivredart publient Sculptures de Liliane Heidelberger – Catalogue raisonné de l’œuvre sculpté, bijoux et dessins, premier ouvrage exhaustif consacré à l’artiste luxembourgeoise (1935-2019). L’ouvrage documente 420 sculptures, ainsi que 41 bijoux et 77 dessins, réalisées sur 55 ans de carrière et révèle un parcours créatif singulier, de la formation classique à l’exploration de matériaux industriels contemporains.

Une approche centrée sur le dialogue avec la matière

« Elle craignait que le verbe n’enferme le regardeur dans le cercle tracé par la domination d’un mot qui dissiperait les effluves sensoriels et émotifs émanant de l’œuvre », explique le catalogue à propos de Liliane Heidelberger. Cette méfiance du discours témoigne d’une artiste entièrement concentrée sur l’expérience directe entre la main, la matière et l’émotion.

Formée dans la tradition classique auprès de Lucien Wercollier à l’école des Arts et Métiers de Luxembourg, Heidelberger développe progressivement une méthode qui consiste à « faire parler la pierre » plutôt qu’à lui imposer une forme préconçue. Cette approche, documentée dans le catalogue, guide l’ensemble de sa production.

Du marbre traditionnel au carton industriel : une palette matérielle étendue

Le catalogue révèle la diversité des matériaux explorés par l’artiste : marbre de Carrare, ardoise luxembourgeoise, basalte de Mayen, granit, mais aussi carton ondulé industriel dès les années 1990. Cette utilisation de matériaux non traditionnels questionne les frontières entre matériaux nobles et matériaux du quotidien.

« Liliane Heidelberger nous a apporté la preuve qu’elle vaut autant pour l’ardoise, voire le carton, que pour le bloc extrait des roches », observe Lucien Kayser dans son introduction. Ses interventions restent mesurées : quelques incisions révèlent les strates naturelles de l’ardoise (Keyam, 1988), des polissages contrastés mettent en tension surfaces rugueuses et lisses (Hadendowa, 1984). Cette retenue permet aux matériaux de conserver leur identité tout en devenant œuvre d’art.

L’influence des voyages sur la création

Les titres de ses sculptures – Toumaï, Lalibela, Pachamama, Les Chevaux du vent – témoignent de l’influence de ses voyages sur sa création. L’Himalaya, les déserts africains, l’Amérique latine nourrissent une titulature qui fonctionne comme une géographie personnelle.

« Nous savons combien Liliane Heidelberger aimait à voyager, de préférence dans des régions du monde lointaines, par la distance, certes, par le rapport au passé davantage encore », note Lucien Kayser. Ces voyages dans des contrées où « le voyageur peut se perdre dans l’immensité des espaces » marquent durablement ses sculptures.

Les Chevaux du vent (1995), sculpture monumentale de six blocs de granit installée au Kirchberg, illustre cette relation entre expérience géographique et création artistique. Inspirée des drapeaux de prière tibétains observés lors d’un voyage dans l’Himalaya, l’œuvre transpose dans la pierre l’éphémère d’un moment spirituel.

Une évolution stylistique documentée : de la figuration à l’abstraction géométrique

Le catalogue chronologique retrace une évolution stylistique progressive. Des premiers portraits de 1963 aux dernières œuvres géométriques de 2018, Heidelberger épure son langage tout en complexifiant sa relation aux matériaux.

Les années 1970-1980 voient naître les Rencontres (série de huit sculptures en marbre et ardoise, 1978-1979), où l’artiste expérimente la combinaison de matériaux contrastés. Cette recherche aboutit aux réalisations des années 2000, comme Urbane I et Urbane II (2012), cubes parfaits qui explorent la géométrie pure.

Un catalogue scientifique

Ce catalogue raisonné documente pour la première fois l’intégralité de l’œuvre. Chaque sculpture est référencée avec ses dimensions, matériau, localisation et analyse stylistique. L’ouvrage comprend également une sélection de bijoux et de dessins tardifs, complétant la compréhension de l’univers créatif de l’artiste.

La publication met en lumière une pratique artistique qui anticipe certaines préoccupations contemporaines : utilisation de matériaux de récupération, relation sensible à l’environnement naturel, recherche d’équilibre entre tradition et innovation. Un apport documentaire inédit pour l’étude de la sculpture luxembourgeoise contemporaine.

Biographie

Liliane Heidelberger (1935-2019) découvre la sculpture à 27 ans. Née Liliane Couraudon à Châteauroux, elle étudie l’anglais à la Sorbonne avant de s’installer au Luxembourg en 1958. Sa formation artistique débute en 1963 lorsqu’elle intègre l’atelier de sculpture de Lucien Wercollier à l’école des Arts et Métiers de Luxembourg.

Elle perfectionne sa technique lors de stages à Salzbourg auprès de sculpteurs comme Ilio Signori et Marcello Mascherini, développant parallèlement une activité de bijoutière-créatrice dans les années 1970-1980. Nommée chevalier de l’ordre du Mérite du grand-duché de Luxembourg en 2015, elle poursuit sa création jusqu’en 2018.

Bernard Heidelberger, compagnon de l’artiste pendant 62 ans, livre dans l’avant-propos un témoignage sur celle qui « a mené la vie qu’elle voulait et qu’elle aimait.»

Lucien Kayser, critique d’art luxembourgeois, signe l’introduction.