Élisabeth Lemaigre-Voreaux : Trois fois rien, une monographie révèle cinquante ans d’arte povera au féminin

Les éditions Lelivredart publient la monographie consacrée à Élisabeth Lemaigre-Voreaux, artiste de 86 ans qui développe depuis un demi-siècle un langage plastique puisant dans les matériaux de récupération et les traditions spirituelles populaires. L’ouvrage révèle un corpus d’œuvres, des grands formats minéraux aux installations votives.

« Que reste-t-il de ces multiples usures, de ces cendres, de ces multiples fragments sinon une certitude d’un passé qui me fascine », interroge Élisabeth Lemaigre-Voreaux en ouverture de cette monographie. Depuis les années 1970, cette artiste développe un art de la récupération qui transforme sable, ciment, tissus usés et objets trouvés en compositions abstraites chargées de mémoire. Sa philosophie se résume en ces mots : « Il suffit de trois fois rien – un peu de pigments mêlés de grains de sable – pour qu’une œuvre s’éveille ». Son approche s’inscrit dans la mouvance de l’arte povera tout en revendiquant une esthétique spécifiquement féminine par le geste de la couture et de la suture.

Un arte povera décliné au féminin

Élisabeth Lemaigre-Voreaux privilégie les matériaux pauvres – ciment, cendre, textile usé, cire fondue – qu’elle sublime par des techniques traditionnellement associées aux femmes. « J’encastre, je fixe, je couds, je joins, je rapproche, j’infiltre des encres, je brûle, j’utilise les accrocs. Je ponce, je déchire, je teins, je découpe. Je suture », détaille l’artiste. Cette gestuelle du raccommodage transforme la précarité des matériaux en force expressive, créant des surfaces qui portent la mémoire de leurs blessures et réparations.

Spiritualité populaire et lieux sacrés

Le travail de Lemaigre-Voreaux interroge la dimension spirituelle de l’art contemporain à travers ses séries de croix, reliquaires et installations votives. Ses expositions en lieux sacrés marquent cette démarche : crypte Sainte-Eugénie à Biarritz en 2010, retable définitif à la chapelle Notre-Dame-de-Vie de Lurs en 2016. « La croix est le signe vertical du spirituel et signe horizontal du quotidien. Mais pour l’artiste, la croix est aussi le point de broderie et le fil qui suture la plaie du blessé », analyse la critique d’art Annick Chantrel Leluc.

Voyages et influences multiculturelles

Les déplacements de l’artiste du Sahel africain aux contreforts de l’Himalaya, en passant par la Syrie avant sa destruction, nourrissent directement sa palette et sa gestuelle. Elle y récolte pigments, terres et objets qui enrichissent son vocabulaire plastique. Ses œuvres portent « la blancheur d’un désert lointain, l’ombre bleutée d’une vallée népalaise, l’ocre rouge d’un sentier dogon, ou les influences des pratiques vaudou et des croyances populaires qui l’ont fascinée ».

Un parcours en marge des circuits traditionnels

Formée aux Arts décoratifs de Paris, Élisabeth Lemaigre-Voreaux développe un itinéraire atypique entre arts plastiques, design textile et commandes publiques. Sa période à Barbizon (1991-2009) s’avère déterminante : elle y ouvre son atelier et organise des expositions personnelles dans cette « période qu’elle qualifie de foisonnante ». Entre 1980 et 1990, elle réalise une quinzaine de commandes publiques dans le cadre du 1%, des mosaïques pour La Poste aux compositions murales pour établissements scolaires.

Née en 1939 en Seine-et-Marne, Élisabeth Lemaigre-Voreaux découvre sa vocation artistique lors d’une rencontre décisive avec Aurélie Nemours, peintre de l’abstraction géométrique et amie de la famille. Diplômée de l’École supérieure nationale des arts décoratifs, elle explore différents médiums avant de développer sa technique mixte caractéristique. Veuve de Jean en 2021, elle vit aujourd’hui à Barjols dans le Haut-Var.

La monographie rassemble les contributions de trois auteurs : Brigitte Bertrand pour la présentation générale, Annick Chantrel Leluc pour l’analyse critique, et un extrait de Lucien Gurzi sur la période Barbizon.