Georges Bastard, amoureux des belles matières : un maître oublié de l’Art déco

À l’occasion du centenaire de l’Exposition des arts décoratifs et industriels modernes de 1925, les éditions Lelivredart publient une monographie consacrée à Georges Bastard. L’ouvrage de Clara Scrève révèle la trajectoire d’un artiste décorateur aujourd’hui méconnu du grand public, pourtant président de classe à l’Exposition de 1925 et représenté dans les collections des plus grands musées.

Chevalier de la Légion d’honneur au même titre que Jacques-Émile Ruhlmann et Paul Follot, directeur de l’École nationale des arts décoratifs de Limoges puis de la Manufacture de Sèvres, Georges Bastard (1881-1939) occupa une place centrale dans les arts décoratifs français de l’entre-deux-guerres. Ses œuvres sont conservées au musée des Arts décoratifs et au musée d’Orsay à Paris, au Metropolitan Museum of Art de New York, au musée d’Art et d’Histoire de Genève. Pourtant, son nom reste largement absent des ouvrages de référence sur l’Art déco. Cet ouvrage vise à combler cette lacune.

Un artiste reconnu par ses pairs et les institutions

Né à Andeville dans l’Oise, Georges Bastard apprend le métier de tabletier dans l’atelier paternel avant d’intégrer l’École nationale des arts décoratifs de Paris à quatorze ans. Dès 1902, il obtient une mention honorable au Salon des artistes français pour ses montures et boutons en nacre ajourée, sculptée et teintée. L’État acquiert régulièrement ses œuvres présentées aux principales manifestations artistiques. En 1925, il préside la 9ᵉ classe intitulée « Tabletterie et maroquinerie » de l’Exposition internationale, où ses créations sont exposées dans les pavillons les plus prestigieux : le pavillon des Artisans français contemporains, l’Ambassade française et l’hôtel du Collectionneur.

La transmutation de la matière

L’historien de l’art Yvanhoé Rambosson qualifie en 1929 Georges Bastard d’artiste qui «[traite] en magicien toutes les matières». Cette maîtrise technique s’applique à la nacre, l’ivoire, l’écaille, la corne, l’ambre et le cristal de roche. Muriel Ciolkowska écrit en 1917 : « Le vrai artiste est celui qui, ayant dompté la matière, ne la force jamais. Il s’adapte à ses ressources et sait tirer parti de toutes ses possibilités ». L’ouvrage présente une sélection d’œuvres qui témoignent de cette capacité à révéler les propriétés intrinsèques de chaque matériau : transparence, translucidité, jeux de lumière et de volumes.

Une vision originale de la modernité

Face à la géométrisation caractéristique de l’Art déco, Georges Bastard développe une approche qui privilégie les courbes harmonieuses et les formes organiques. Il affirme en 1931 : « Les cannelures superposées que voici, je les ai vues sur certaines tiges végétales plus ou moins striées. Est-ce que, d’ailleurs, la nature ne renferme pas tout ? » Cette fidélité à la nature comme source d’inspiration le distingue de nombreux contemporains, sans pour autant le marginaliser.

Au-delà de la tabletterie

L’artiste collabore avec des orfèvres comme la maison Hénin, des ferronniers comme Edgar Brandt, des verriers comme Léon-Paul Fargue, et des maisons textiles comme Duchesne et Binet. Il conçoit également des projets publicitaires pour des couturiers et parfumeurs. Membre de l’Union des artistes modernes, il transpose ses créations en galalithe pour «répandre aussi un peu d’esthétique dans la vie usuelle et dans la masse». L’ouvrage reproduit des projets inédits conservés dans des collections particulières.

Biographie

Georges Bastard meurt en 1939 dans un accident ferroviaire. Deux expositions lui sont consacrées après sa disparition : au musée des Arts décoratifs de Paris en 1950 et au musée d’Art ancien de Lisbonne en 1959. Clara Scrève, docteure en histoire de l’art, a consacré sa thèse à Georges Bastard, soutenue en 2022. Elle enseigne l’histoire de l’art et publie régulièrement dans des revues spécialisées.